© P.Yves Touzot 2018

5 novembre 2022

MAGASIN GENERAL (BD)

Quebéc, 1920. Chronique de la vie de Marie, jeune veuve héritière du magasin général de Notre-Dame-Des-Lacs, et de ses habitants...













Neuf albums, soit près de 1000 pages, passés à Notre-Dame-des-Lacs, village isolé dans la nature québécoise ... Quel bonheur !
Magasin Général nous invite à nous immerger dans le quotidien d'un petit village québécois du début du 20e siècle, au coeur de sa galerie d'habitants hauts en couleur. Le récit est centré sur Marie, jeune femme d'une petite trentaine d'années, qui suite au décès de son mari (le narrateur du récit qui nous accompagne d'album en album, brillante idée) va devoir s'occuper seule du magasin général du village, point central du quotidien de cette petite communauté vivant presque en autarcie dans l'immensité de la forêt canadienne. Si Marie est le personnage central, l'histoire s'intéresse également la vie des autres villageois, parmi lesquels un maire du village secoué dans ses habitudes, un curé à la croisée des chemins, un fabriquant de bateau farfelu, un simplet du village plus important pour la communauté qu'il n'en a l'air, trois grenouilles de bénitier locales irrésistibles... Sans oublier Serge, voyageur urbain égaré dans ce havre de conservatisme dont il va lentement mais profondément bousculer les habitudes.
La grande force de Magasin Général réside dans la richesse de cette galerie de personnages, mais également dans la manière dont les auteurs traitent de leur arène. Ici, la forêt et la campagne sont des personnages à part entière qui interagissent avec le parcours des personnages. La narration se construit sur l'alternance de scène de vies intimistes, d'autres plus collectives, et d'ellipses temporelles au plus prés de la nature. Au fil de l'histoire, la faune et la flore locales se révèlent, saison après saison, pour notre plus grand plaisir. 
Portées par des dessins d'une douceur et d'une poésie infinies (notion très subjective, je vous l'accorde), certaines planches sans texte sont de véritables oeuvres d'écopoétique, au sens le plus pur du terme, dans lesquelles les auteurs prennent le temps de connecter leurs personnages à leur environnement, en nous offrant un cadeau rare: un espace temporel et visuel pour explorer et savourer la nature dans laquelle baigne Notre-Dame-des-Lacs.
Au-delà de la portée ethnologique et humaniste de son histoire, Magasin Général est aussi une formidable oeuvre féministe, qui va voir Marie devoir trouver sa place en tant que femme célibataire dans un monde où tout est basé sur la famille, au sein d'une communauté essentiellement féminine puisque les hommes partent plusieurs fois par an pour de longs périples dans les bois en abandonnant à leurs conjointes/mères/filles l'organisation de la vie du village. Enfin, c'est une oeuvre sur l'ouverture à la modernité, à travers le personnage de Serge, citadin aux moeurs très différentes qui va obliger la communauté de ce petit village traditionnel (pour ne pas dire traditionaliste) à accepter le changement et à s'ouvrir en douceur à la modernité. 

Un des chefs d'oeuvre de la bande dessinée contemporaine.


Magasin Général, une série de 9 bandes dessinées de Régis Loisel et Jean-Louis Tripp.
Paru aux éditions Casterman entre 2006 et 2014.




Tome 1: Marie
Tome 2: Serge
Tome 3: Les Hommes
Tome 4: Confessions
Tome 5: Montréal
Tome 6: Ernest Latulippe
Tome 7: Charleston
Tome 8: Les Femmes
Tome 9: Notre-Dame-des-Lacs




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1 commentaire:

  1. Cher PYT, c'est avec un grand intérêt que je lis cette présentation de ce qui est effectivement un des grands "chefs d’œuvre de la bande dessinée".
    Je me permet un commentaire avec la volonté non pas de contredire mais plutôt d'agrémenter.

    Il me semble important de signaler qu'il s'agit d'une oeuvre à 2 têtes, aussi bien pour le dessin que pour le texte, et que le binôme formé avec Jean Louis Tripp fonctionne à merveille.
    Au début de chaque album, nous pouvons admirer une planche dans son évolution, la 1ère étape de Loisel et son art de "la mise en case", la précision des champs de vision et des attitudes des personnages.
    Puis, la 2e étape de Tripp, comment il affine, il ombre, il rend réel le crayonné de Loisel : Magique !
    Tripp est aussi à l'origine d'un ingrédient important de ce récit : le langage.
    Ce vieux québécois de la campagne, ces expressions qui donnent l'accent, ce timbre que nous connaissons tous dès lors que nous quittons les villes...

    S'il est vrai que le récit suit principalement Marie, le personnage crucial reste Serge selon moi, celui sans qui rien n'arrive...
    Le voyageur (avec tous les fantasmes qu'il véhicule), l'épicurien, le jouisseur... qui révolutionne la vie des habitants (bouscule est un peu faible...).
    Il est à l'origine des toutes les prises de consciences, sur l'envie de l'amour, de la ville, sur les rapports hommes-femmes, l'amour de l'aventure et des plaisirs
    de la vie en général. Mais il ne les égare pas, ces villageois, car en fin de compte, c'est aussi par lui qu'ils réalisent leur bonheur de vivre à Notre Dame des Lacs

    Enfin, oui, je suis d'accord, la nature joue le role principal dans ce récit, omniprésente, elle dirige la vie humaine, la rythme, l'influence avec ses atouts,
    ses attraits, mais aussi sa dureté, ses contraintes, ses obstacles.
    La description de la vie du village, étalé dans cette nature, est ni angélique, ni fantasmée et si cette nature apporte de nombreux moments de bonheur, elle enclenche son lot de difficultés, de frustrations et de solitude.
    C'est une approche caractéristique du travail de Loisel.
    Que ce soit dans "La Quete de L'Oiseau du Temps" (avec le domaine du Rige, notamment), dans sa version étonnante de "Peter Pan", dans "Pyrénées" également ou dans "Le Grand Mort" plus récemment, Loisel nous confronte sans cesse à notre rapport ambiguë à la nature, tantôt notre alliée,
    tantôt notre ennemie.
    Et il est vrai que c'est dans le "Magasin Général" que cette confrontation est la plus sublime, portée par un dessin "d'une douceur et d'une poésie infinies", comme tu le dis.
    Pib.

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